Bernard Landry – RV ou la quadrature du cercle

Roger Vailland ou la quadrature du cercle

A une époque où les écrivains s’aiment bien dégagés sur les oreilles pour faire bon visage à la télévision et pensent que leur liberté est trop précieuse pour en faire usage, il est sans doute difficile d’imaginer la démarche permanente de Roger Vailland de lier une totale liberté d’esprit et un engagement politique sans concession. C’est que ce libertin, au sens qu’on donnait à ce mot du temps de Gassendi et de sa Vie et Mort d’Epicure, comme à celui qu’on entendait du temps du marquis d’Argens et de sa Thérèse philosophe, savait que l’écriture est une arme absolue pour peu qu’on en use sans modération et qu’il n’aurait pu être un bon communiste s’il n’était totalement lui-même. Trop hautain pour se mêler aux querelles de ménage, trop orgueilleux pour se plaire aux vanités, trop amoureux de l’amour pour se draper dans l’amour-propre, quand il comprit qu’il ne lui était plus possible d’atteindre à cette quadrature du cercle, il choisit de s’éloigner de ses camarades, sans bruit, sur la pointe des pieds, afin de ne pas leur nuire, comme on s’éloigne d’une femme avec qui on ne parvient plus à vivre, sans qu’on ait cessé pour autant de l’estimer et que, sans doute on aime toujours.

L’honnêteté intellectuelle, la vigueur de la pensée, la fidélité à ses convictions et aussi la précision de l’écriture, voilà quatre bonnes raisons de passer pour un « ringard » aujourd’hui que les vestes se tournent et se retournent au gré du vent de la mode qui passe et que les idées ou les indignations de commande sont soumises à l’audimat. Comment s’étonner alors qu’on cherche à enterrer une deuxième fois sous la chape du silence médiatique un écrivain « politiquement incorrect » alors que Roger Vailland nous est plus indispensable que jamais par l’inconfort qu’il jette sur les conformismes du jour.

Bernard-G. Landry

Ecrivain