Henri Bourbon

Un homme de terrain

(Extraits d’un entretien entre l’ancien député communiste de l’Ain, Henri Bourbon, et Yves Neyrolles).

Henri Bourbon : De Vailland, j’ai gardé l’impression que c’était un écrivain qui savait se faire comprendre de tous les ouvriers, de tous les paysans, de tous.

Yves Neyrolles : Une facilité à communiquer très spontanément, très rapidement avec tout le monde. Et ça, tu en as fait l’expérience dès votre première rencontre.

H.B. : Oui, dès qu’il est arrivé aux Allymes, à la fin 51. C’est lui qui est venu me voir. Il avait envie de visiter ce que l’on a appelé la « vallée de la misère ».

Y.N. : La vallée de l’Albarine.

H.B. : J’ai personnellement fait ce que j’ai pu, j’ai tenté de lui faciliter tous les contacts. Toutes les possibilités qu’on avait, on les lui a données. Et puis il s’en est servi : c’est l’origine de Beau Masque.

Et j’en arrive à 325 000 francs. Les origines de ce livre sont assez curieuses. À Oyonnax, les ouvriers travaillaient surtout aux pièces. À l’époque, dans les entreprises où ils étaient amenés à faire un travail rapide, soutenu, cadencé et avec des dangers, il y avait ce qu’on appelait des « garde fous », des trucs pour éviter qu’il y ait trop d’accidents. Mais, si les ouvriers voulaient gagner leur vie, il fallait qu’ils ne se servent pas de ces trucs de sécurité. J’ai dit à Roger : « Il faut que tu ailles à Oyonnax parce que cela devient la ville aux mains coupées : il y a des centaines d’accidents du travail ». Les ouvriers se faisaient couper deux doigts, un doigt, une main. Il fallait dénoncer ce scandale. On l’a fait. J’ai présenté Roger à mes filles. Il est resté pas mal de temps avec mon gendre et une de mes filles et eux l’ont aiguillé. J’ai trouvé un ancien de la Résistance et je lui ai dit : « Tu te débrouilles, tu fais comme tu veux mais il faut que tu aides Vailland ». Et bien ! il a introduit Vailland dans son usine.

Y.N. : C’était au départ pour faire une simple enquête ?

H.B. : Voilà, une enquête… et puis Roger est revenu quinze jours ou trois semaines plus tard en me disant : « Ce ne sont pas seulement des articles qu’il faut faire. Je vais faire un bouquin ». Voilà comment on a fait naître 325 000 Francs.

En Vailland, il y avait non seulement l’écrivain, le journaliste mais aussi un type profondément humain. Avec moi en particulier, mais avec d’autres camarades aussi, Vailland assistait à toutes les manifestations. Heureux. Les luttes contre les saisies de paysans, par exemple, à Bourg même. Ils voulaient vendre leurs vaches, leurs veaux sur le champ de foire. Roger m’a dit : « J’y vais avec vous ». On a interdit ces saisies : je ne dirais pas que c’était bien légal mais Vailland a été avec nous, tout le long. Il était avec moi aussi quand j’allais faire des prises de parole très rapides à la sortie des ouvriers de la tréfilerie, écoutant et regardant ce que les ouvriers pensaient. Il se mettait un peu loin et il enregistrait tout. C’est ça qui me permettait de rectifier. Il fallait évidemment une grande confiance réciproque pour réussir une pareille collaboration. C’était étonnant. Cela ne s’était jamais vu.

Henri Bourbon